Il a 36 ans mais en fait dix de moins. Il a gardé ses joues rondes, parle posément, simplement. Il porte une queue-de-cheval repliée en chignon. A part ça ? Rien. Un vague passé de réalisateur de clips musicaux qui n’a pas bouleversé Hollywood et des velléités politiques chez les républicains, en 2022, vite enterrées. Mais Robby Starbuck, cet inconnu au quasi-nom de café, établi avec sa femme et ses quatre enfants près de Nashville, dans le Tennessee, fait trembler les entreprises de son pays.
La semaine dernière, une chaîne américaine de restaurants presque centenaire, Cracker Barrel, qui propose dans ses établissements une cuisine du sud des Etats-Unis bien roborative, servie dans un décor de western, a renoncé à changer de logo. Sur l’ancien, on voyait un vieil homme, connu dans tout le pays sous le nom de « Tonton Herschel », oncle du fondateur, appuyé sur un tonneau. Du jour au lendemain, exit Tonton Herschel. Fureur des consommateurs et des réseaux sociaux, turbulences boursières, intervention de Trump en personne, c’est la tradition qu’on assassine, les rednecks avec nous, rendez-nous Tonton. Cracker Barrel a reculé. Derrière cette histoire apparemment anecdotique, on trouve Robby Starbuck. C’est lui qui, sans relâche, a mené l’offensive sur le réseau social X, appuyé par ses 800 000 followers, pour réclamer le retour à l’ancien logo.
La figure populaire de Tonton Herschel n’était qu’un prétexte, car, ce que Starbuck attaquait en réalité, c’est le supposé « wokisme » de Cracker Barrel, et son adhésion aux fameux programmes DEI, pour « diversité, équité et inclusion ». Depuis ce coup de semonce, la chaîne de restos a supprimé de son site Web toute référence aux combats LGBT et aux programmes DEI. Et son cours de Bourse est remonté.
Convaincu par les analyses de Steve Bannon ou de Tucker Carlson, ancien éditorialiste de Fox News, Starbuck estime qu’il faut désormais mener le combat conservateur contre les élites économiques, coupables de trahison pour avoir délaissé la méritocratie au profit de la discrimination positive. Toute cette petite bande se sent pousser des ailes depuis que la Cour suprême a invalidé la discrimination positive dans l’enseignement supérieur, en 2023. Son idéal : une société où les inégalités ne seraient pas perçues comme un problème politique mais comme la norme.
Meta, le groupe de Zuckerberg, qui, après avoir annoncé vouloir insuffler davantage d’« énergie masculine » dans son groupe, vient de recruter Robby Starbuck pour le conseiller dans sa lutte contre les biais woke de ses modèles d’IA.
Depuis le retour de Trump, Starbuck a fait mordre la poussière à Walmart, énorme enseigne de distribution et premier employeur privé du pays, qui a renoncé aux promesses faites dans le sillage du meurtre de George Floyd, en 2020. Fini les programmes DEI et les articles LGBT proposés sur ses plateformes en ligne. Même chose pour Jack Daniel’s, McDonald’s, Ford, les magasins de bricolage Lowe’s, l’équipementier agricole Tractor Supply ou Harley-Davidson. Dernier en date : Meta, propriété de Mark Zuckerberg, qui, après avoir annoncé vouloir insuffler davantage d’« énergie masculine » dans son groupe, vient de recruter Robby Starbuck pour profiter de ses conseils dans la lutte contre les biais wokes de ses modèles d’IA. Fort doué pour les phrases chocs, Starbuck explique à ses fans : « Les consommateurs comprennent à présent quelque chose de très important : leur portefeuille est une arme. »
L’activiste, aujourd’hui une star du mouvement « Maga », est soutenu dans ses combats par Donald Trump, par Elon Musk – qui l’appuie avec toute la puissance de son réseau X –, mais aussi par des dizaines de groupes aux Etats-Unis qui s’inspirent de ses méthodes. En 2023, la bière Bud Light a payé très cher une opération marketing avec une célébrité transgenre. Les consommateurs ont boycotté la marque, qui, en dépit des excuses publiques du pédégé, n’est toujours pas redevenue la bière préférée des Américains.
Starbuck dispose d’un atout de poids en la personne de Stephen Miller, chef de cabinet adjoint à la Maison-Blanche, l’un des plus proches conseillers du Président, décrit comme un ultranationaliste et un suprémaciste, pilier de la nouvelle révolution conservatrice, qui a lui-même poursuivi des firmes, en invoquant des discriminations ciblant des hommes blancs. La mouvance dont Starbuck est le chef de file médiatique est si puissante qu’Amazon et Microsoft sont rentrés d’eux-mêmes dans le droit chemin.
A propos, de quoi vit Robby Starbuck ? Interrogé par CNBC le 8 août sur le montant du contrat qui le lie à Zuckerberg pour garantir la pureté idéologique du groupe, l’apôtre de la transparence en entreprise, qui ne cesse de dire que les consommateurs ont le droit de savoir ce que font les compagnies américaines de leur argent, a refusé de répondre. Il a juste souri.
Source : https://www.lecanardenchaine.fr/international/51702-robby-starbuck-de-qui-ce-woke-t-on