L’enquête visant les responsables du scandale Buitoni fait un four ! En 2022, les pizzas Fraîch’Up de la filiale de Nestlé, concoctées avec amour dans l’usine de Caudry (Nord) et assaisonnées à la bactérie Escherichia coli, avaient été mises en cause dans la mort de deux enfants de 2 et 8 ans. Des centaines de très jeunes consommateurs étaient tombés malades et avaient souffert d’atteintes rénales. En juillet 2024, la multinationale et sa filiale nordiste ont été mises en examen pour homicides involontaires, blessures involontaires et tromperie. Et, depuis plus d’un an, c’est silence radio.
Le 5 septembre dernier, Me Pierre Debuisson, qui représente pas moins de 63 familles, a donc tenté de relancer l’enquête en écrivant aux juges. Pendant ce temps, Nestlé cuisine sa meilleure défense avec un ingrédient de poids : l’argent.
Le 31 mars 2023, Nestlé France, la Société des produits alimentaires de Caudry (Spac) et Me Debuisson s’étaient accordés sur une « démarche d’indemnisation amiable » aux termes de laquelle les parents s’étaient engagés à ne plus évoquer l’affaire et à ne jamais dévoiler l’accord. Les informations dont dispose « Le Canard » indiquent que les décès d’enfants ont été « dédommagés » à hauteur de plus de 3 millions d’euros chacun.
C’est cent fois plus que le barème appliqué par la justice, selon lequel la mort d’un bambin équivaut, au maximum, à 30 000 euros. Un plafond atteint à condition de démontrer ce que les spécialistes des préjudices corporels nomment la « perte de chance » : plus un jeune était destiné à un avenir radieux, mieux ses proches sont indemnisés. Et tant pis pour les parents des moins brillants.
Nestlé est d’autant plus pudique concernant les sommes dépensées qu’il n’a, en réalité… pas sorti son propre chéquier. Pour éviter d’avoir à évoquer cet arrangement dans son rapport financier annuel – une obligation pour les entreprises cotées en Bourse –, il a chargé la Spac de rétribuer les victimes à sa place. La filiale, elle, a répercuté les sommes versées sur son assureur, moyennant quoi la firme et sa succursale n’ont pas prélevé un centime de leurs caisses. Depuis, l’usine de Caudry a été revendue à l’italien Italpizza pour 3,6 millions d’euros.
La clause de confidentialité imposée par Nestlé a empêché la constitution d’une commission d’enquête parlementaire que le député MoDem du Loiret, Richard Ramos, appelait de ses vœux. En juin 2018, il avait pourtant efficacement bataillé à l’Assemblée contre le pédégé de Lactalis dans l’affaire du lait frelaté pour bébé.
En 2022, la Fondation Nestlé avait missionné l’association France Rein pour gérer un fonds de soutien très particulier « dédié aux patients atteints d’un syndrome hémolytique et urémique dont le diagnostic avait été établi précisément entre le 1er janvier et le 31 août 2022 ». Quels patients ? Les victimes des pizzas Buitoni, souvent atteintes de maladies rénales, mais jamais mentionnées ! Un montage, là aussi, assorti par le géant suisse d’une bienveillante « convention de confidentialité » imposée à France Rein et aux victimes. « L’allocation de soutien, précise Nestlé au Volatile, ne se substitue en rien aux éventuelles demandes d’indemnisation dans le cadre de l’enquête judiciaire en cours. » Ça tombe bien, ce serait illégal…
Par l’entremise de France Rein, 98 personnes ont ainsi perçu 25 000 euros chacune (total : 2,45 millions d’euros). Au passage, l’asso a été gratifiée de près de 200 000 euros pour services rendus. Bonne pâte mais pas trop.
Tous les gamins intoxiqués par les surgelés bon marché font l’objet d’un suivi régulier chez un néphrologue. Nombre d’entre eux ont encore des troubles de la coordination ou de la mémoire. Une petite fille a besoin d’une aide quotidienne au collège ; une autre, atteinte d’une nécrose musculaire, ne peut plus courir… Les bénéfices nets du groupe, eux, se portent à merveille. En hausse de 20,9 % en 2023, ils se sont établis à 11,2 milliards de francs suisses (12 milliards d’euros) au cœur de la crise. Une santé insolente qu’aucun accord de confidentialité ne permet de dissimuler. Il y a quelques années, le slogan des pubs pour les pizzas Buitoni était : « Il faut qu’on parle »… Chiche ?