C'EST L'HISTOIRE d'un tour de passe-passe. En mai 2020, Bruxelles a mis sur la table une bonne idée : rendre obligatoire, fin 2022, dans tous les pays de l'Union européenne, un même étiquetage nutritionnel sur les produits alimentaires Objectif : permettre au consommateur d'identifier d'un seul coup d'œil les aliments bons ou mauvais pour la santé. En octobre 2021, le Parlement européen adoube l'heureuse initiative. Et puis… plus rien.
Pourquoi le fameux étiquetage, qui devrait être mis en place il y a deux ans et demi déjà, s'est-il volatilisé ? Après avoir questionné, en vain, la Commission, l'association Foodwatch a toqué à la porte du médiateur européen, qui a enjoint à Bruxelles de rendre publics, au plus tard en janvier 2025, tous les documents préparatoires et les procès-verbaux des réunions sur l'étiquetage nutritionnel obligatoire. Las, la Commission a refusé de livrer lesdits documents. Ni une ni deux, Foodwatch a appelé à la rescousse Access Info, une ONG spécialisée dans le droit d'accès aux documents publics qui vient de porter l'affaire devant le Tribunal de l'Union européenne pour qu'il force la main à la Commission, au nom du « droit fondamental d'accès aux documents de l'UE ».
Pas question pour Bruxelles de lever le couvercle sur ses tractations secrètes avec l'industrie agroalimentaire, qui ne voulait surtout pas de l'enquiquinant Nutri-Score français comme logo nutritionnel européen. L'étiquetage tricolore était en passe d'être choisi car validé par 173 études scientifiques, plébiscité par l'Organisation mondiale de la santé et déjà adopté dans sept pays européens, sur la base du volontariat.
Les géants de l'agroalimentaire n'ont jamais digéré ce classement, inventé en France en 2014, qui, à leurs yeux, distribue trop de mauvaises notes. Parmi ses plus farouches opposants, la multinationale italienne du chocolat Ferrero. Propriétaire des marques Kinder et Nutella, elle s'est mis dans la poche la Première ministre d'extrême droite Giorgia Meloni. Laquelle, à peine arrivée au pouvoir, a donné pour consigne à son administration de discréditer le Nutri-Score auprès de la Commission européenne. Comme l'a raconté « Le Canard » (« Conflit », 18/10/23), le représentant permanent de l'Italie à Bruxelles, flanqué du responsable de la Fédération italienne des industries alimentaires, a rencontré, le 27 octobre 2022, le chef de cab du commissaire européen à l'Agriculture, qui, quelques jours plus tard, a fait savoir, dans un e-mail récupéré par Foodwatch, que son patron ne voulait plus du Nutri-Score.
On comprend pourquoi Bruxelles n'a pas envie de se mettre à table…