Quand les MAGA taisent la vérité
Depuis les années 2000, les crimes meurtriers à motivation politique outre-Atlantique sont majoritairement l'œuvre de militants suprémacistes blancs. Une réalité que les statistiques officielles peinent encore à rendre visible.
Lorsqu'on interroge les Américains sur la menace terroriste, beaucoup évoquent spontanément le 11 septembre 2001 et l'islamisme radical. Pourtant, les données compilées par les agences fédérales et les organisations de défense des droits civiques dessinent un paysage bien différent : aux États-Unis, ce sont les extrémistes d'extrême droite qui tuent le plus, et de loin.
Entre janvier 2020 et septembre 2025, sur 81 meurtres commis dans le cadre d'actes terroristes à motivation politique, 54% (44 meurtres) sont imputables à des terroristes d'extrême droite, contre 21% (17 meurtres) attribués à des islamistes. Le reste se répartit entre extrémistes d'extrême gauche (22%, soit 18 meurtres) et autres motivations (2%).
Cette tendance n'est pas nouvelle. Une étude de la New America Foundation couvrant la période post-11 septembre jusqu'en 2015 montre que les extrémistes blancs ont tué presque deux fois plus de personnes que les islamistes : 48 morts contre 26. Plus frappant encore, selon l'Anti-Defamation League (ADL), entre 2012 et 2022, plus de trois quarts de tous les homicides à motivation politique aux États-Unis provenaient d'extrémistes d'extrême droite.
Ces chiffres contredisent le récit dominant qui a façonné la politique antiterroriste américaine depuis deux décennies. Si l'attentat du 11 septembre a provoqué un traumatisme national et mobilisé des ressources sans précédent contre le terrorisme islamiste, la violence d'extrême droite est longtemps restée dans l'angle mort des autorités.
L'année 2024 illustre cette prédominance : tous les meurtres à motivation extrémiste recensés cette année-là ont été commis par des militants d'extrême droite, dont huit impliquant des suprémacistes blancs. C'est la troisième année consécutive où les extrémistes de droite sont liés à tous les meurtres identifiés comme extrémistes. Cette série a toutefois été interrompue début 2025 par l'attentat de La Nouvelle-Orléans, perpétré par un Américain se réclamant de l'État islamique, qui a fait 14 morts.
Sur une période plus longue, entre 1990 et 2020, les homicides à motivation extrémiste d'extrême droite représentent 84,4% du total (227 incidents sur 269), contre seulement 15,6% pour l'extrême gauche (42 incidents). En termes de victimes, ce déséquilibre est encore plus marqué : 523 morts imputables à l'extrême droite, soit 87% du total, contre 78 pour l'extrême gauche (13%). Même en excluant l'attentat d'Oklahoma City de 1995 (168 morts), les meurtres d'extrême droite totalisent en moyenne 11,5 victimes par an, contre 2,5 pour l'extrême gauche.
Au-delà du terrorisme stricto sensu, les crimes de haine offrent un autre indicateur de la violence extrémiste. En 2024, le FBI a recensé 11 679 incidents de crimes de haine, impliquant 14 243 victimes. Plus de la moitié (53,2%) étaient motivés par des préjugés raciaux, ethniques ou d'origine, et 23,5% par des préjugés religieux.
Les musulmans figurent parmi les principales cibles de ces violences. Si les juifs demeurent le groupe religieux le plus visé (ils représentaient 13% de tous les crimes de haine en 2019), les musulmans occupent la deuxième place depuis 2001. L'année 2015 a marqué un pic inquiétant : elle a été la pire année pour les crimes de haine antimusulmans depuis 2001. En décembre 2015, après l'attentat de San Bernardino et l'annonce du « Muslim ban » par Donald Trump, les crimes antimusulmans ont bondi de 130% en un seul mois, passant de 30 à 69 incidents.
Ces données révèlent une corrélation troublante entre discours politique et violence de rue. Après les déclarations de George W. Bush appelant au respect des musulmans, le 17 septembre 2001, les crimes de haine antimusulmans avaient immédiatement chuté. À l'inverse, la rhétorique incendiaire autour de l'immigration et de l'islam durant la campagne de 2015-2016 a coïncidé avec une flambée de violences.
Les auteurs de ces crimes de haine sont majoritairement blancs : en 2019, ils représentaient 52,5% des auteurs identifiés. Quant aux motivations d'extrême droite, elles sont surreprésentées dans les actes les plus meurtriers.
Il faut néanmoins souligner les limites de ces données. Aux États-Unis, comme en France d'ailleurs, les statistiques officielles ne recensent pas la religion des délinquants dans les crimes de droit commun. Seuls les actes revendiqués ou explicitement motivés par une idéologie ou une appartenance religieuse sont comptabilisés.
Par ailleurs, seuls 54% des victimes de crimes de haine et 12% des services de police rapportent officiellement ces incidents au FBI. La réalité de la violence extrémiste pourrait donc être bien plus élevée que ce que suggèrent les chiffres officiels.
L'absence d'une législation fédérale spécifique au terrorisme domestique complique également le tableau. Le FBI classe ces incidents dans plusieurs catégories : extrémistes motivés par la race ou la religion (suprémacistes blancs, racistes, antisémites, xénophobes), extrémistes violents locaux (dont ceux se réclamant du jihad salafiste), et extrémistes thématiques (opposants violents à l'avortement, activistes des droits des animaux, etc.).
Pendant des décennies, le traitement médiatique et politique de la menace terroriste aux États-Unis a été asymétrique. Les musulmans américains se sont longtemps plaints d'être les seuls visés par les programmes de « contre-radicalisation » pilotés par le FBI et les forces de l'ordre locales. Entre 2012 et 2015, plus de 2 500 réunions de « dialogue » ont été organisées avec les communautés musulmanes, souvent perçues comme des opérations de surveillance déguisées.
Avant l'attentat d'Orlando en 2016, le nombre de morts causées par l'extrême droite et par l'islamisme était à peu près équivalent depuis le 11 septembre : 48 contre 45. Mais cette équivalence n'a jamais été reflétée dans l'allocation des ressources policières et judiciaires. Comme le relève un rapport de la Brookings Institution, aucun programme équivalent n'a jamais ciblé les nationalistes blancs ou les militants d'extrême droite, malgré la menace qu'ils représentent.
Ce n'est qu'après l'attentat de Charlottesville en 2017 et la fusillade de Pittsburgh en 2018 que les autorités fédérales ont commencé à reconnaître publiquement la gravité du terrorisme d'extrême droite. En 2022, 95% de tous les homicides à motivation politique aux États-Unis étaient perpétrés par des suprémacistes blancs, selon l'ADL. Pourtant, ce n'est qu'en 2020 que le FBI a annoncé doubler ses enquêtes sur le terrorisme domestique d'extrême droite, un chiffre qui a triplé en 2022.
Cette violence n'est pas un phénomène récent. Elle s'inscrit dans une longue histoire de suprémacisme blanc aux États-Unis, du Ku Klux Klan aux milices antigouverne-mentales des années 1990. L'attentat d'Oklahoma City en 1995, perpétré par Timothy McVeigh, un militant d'extrême droite, reste l'attaque terroriste la plus meurtrière sur le sol américain avant le 11 septembre, avec 168 morts.
Après une accalmie relative au début des années 2000, la crise économique de 2008 et l'élection de Barack Obama ont ravivé le mouvement. L'arrivée au pouvoir du premier président afro-américain a été vécue par certains extrémistes comme une provocation existentielle, galvanisant les groupuscules suprémacistes et les milices antigouverne-mentales.
L'élection de Donald Trump en 2016, puis sa défaite contestée en 2020, ont encore accentué les tensions. L'assaut du Capitole le 6 janvier 2021, perpétré par des milliers de partisans de Trump cherchant à empêcher la certification de l'élection de Joe Biden, a marqué un tournant. Plus de 1 000 personnes ont été inculpées, dont de nombreux leaders de groupes comme les Oath Keepers et les Proud Boys.
Paradoxalement, le retour de Trump à la Maison Blanche en 2025 semble avoir temporairement apaisé certains extrémistes de droite. Comme l'a résumé Enrique Tarrio, ancien leader des Proud Boys gracié par Trump : « Franchement, de quoi avons-nous à nous plaindre ces jours-ci ? ». Les incidents liés à l'extrême droite ont en effet diminué au premier semestre 2025, tandis que les attaques d'extrême gauche ont connu une hausse inédite.
La réalité statistique est têtue : aux États-Unis, depuis les années 2000, la violence politique meurtrière provient majoritairement de l'extrême droite suprémaciste blanche. Cette vérité dérange un récit national construit autour de la menace islamiste et entretenu par deux décennies de « guerre contre le terrorisme ».
Les musulmans américains, qui représentent environ 1,1% de la population, sont bien plus souvent victimes que bourreaux. Ils subissent à la fois les violences de groupes islamistes radicaux qui les instrumentalisent et celles d'extrémistes d'extrême droite qui les diabolisent. Cette double peine s'accompagne d'une stigmatisation persistante dans le discours public et médiatique.
Reconnaître cette réalité ne revient pas à minimiser la menace du terrorisme islamiste, qui demeure bien réelle, comme l'a rappelé l'attentat de La Nouvelle-Orléans en janvier 2025. Mais ignorer la prédominance de la violence d'extrême droite empêche de comprendre les dynamiques véritables de la violence politique aux États-Unis et d'y répondre efficacement.
Comme le soulignent les chercheurs, la criminalité de droit commun reste bien plus meurtrière que toutes les formes de violence politique réunies : en 2020, les États-Unis ont connu plus de 19 000 homicides, dont seulement huit à caractère extrémiste. Mais lorsqu'il s'agit de violence à motivation idéologique, les chiffres sont sans appel : l'extrême droite tue davantage. Et cette vérité, fondée sur des décennies de données, mérite d'être dite et entendue.