À 100 euros par mois d'abonnement à Canal+, vous pourriez croire avoir accès à l'intégralité du catalogue audiovisuel français. Or, la réalité est bien différente. Des séries produites par Canal+ lui-même, comme « 3615 Monique », se retrouvent incomplètes sur sa propre plateforme : la saison 2 disponible, la saison 1 absente. Un phénomène qui n'a rien d'anecdotique et qui révèle les failles structurelles d'un modèle économique en crise.
Cette situation paradoxale—payer pour une offre légale fragmentée tout en ayant un accès complet via le piratage—résume le problème fondamental auquel font face les géants du streaming. Et c'est précisément ce qui les pousse massivement vers le piratage.
Derrière chaque saison manquante se cache une jungle de négociations commerciales. Les droits de diffusion, souvent cédés indépendamment pour chaque saison et chaque territoire, créent un catalogue fragmenté et frustrant. Une saison peut être réservée à une autre plateforme, disponible uniquement en VOD, ou simplement inaccessible faute de renouvellement de contrat.
La fusion entre Canal+ et OCS en 2024 devait théoriquement simplifier les choses. Au lieu de cela, elle a cristallisé les problèmes : catalogue en constante mutation, ajouts et retraits imprévisibles, et toujours des lacunes inexplicables pour l'utilisateur moyen.
« Je paye pour un service complet et je dois jongler entre trois plateformes pour avoir la moitié du contenu », témoigne un abonné sur le forum de Canal+. Et il n'est pas seul. Les réseaux sociaux regorgent de plaintes similaires.
L'ironie, c'est que ces restrictions supposées protéger les créateurs font exactement l'inverse. En rendant le contenu légal difficile d'accès et incomplet, les plateformes poussent les spectateurs vers des solutions alternatives. Le téléchargement illégal offre ce que l'offre légale ne peut pas : complétude, absence de restrictions géographiques, et surtout, accessibilité immédiate.
Les études montrent que le piratage audiovisuel en France génère des pertes estimées à 1,5 milliard d'euros annuels. Mais ces chiffres masquent une réalité plus nuancée : une grande partie de ce piratage est directement causée par les lacunes de l'offre légale elle-même.
« Le piratage n'était pas si nocif avant que les plateformes ne fragmentent le catalogue », notait un analyste du secteur en 2020. Six ans plus tard, la fragmentation s'est aggravée, et le piratage avec elle.
Ce qui est fascinant—et catastrophique—c'est que ce problème est largement auto-infligé. Les plateformes, en cherchant à maximiser leurs profits par des modèles exclusifs et fragmentés, sabotent leur propre compétitivité. Pourquoi payer pour une offre incomplète quand il existe une alternative libre et totale ?
Cette question ne cesse de tarauder les consommateurs français. Et elle explique pourquoi, malgré une répression accrue contre le piratage, les utilisateurs continuent à prendre des risques pour accéder à des contenus que, théoriquement, ils pourraient déjà regarder légalement.
La stratégie des plateformes ressemble à celle d'un commerçant qui, voyant ses clients quitter son magasin, décide de fermer encore plus de rayons au lieu de réapprovisionner son stock.
À moins que l'industrie audiovisuelle n'accepte de repenser son modèle de droits de diffusion—en faveur d'une offre plus unifiée et complète—le piratage continuera de croître. Les utilisateurs ne paieront plus longtemps pour une expérience inférieure à celle qu'offre gratuitement et illégalement la concurrence pirate.
La vraie question n'est donc pas « comment lutter contre le piratage ? » mais « pourquoi les plateformes légales rendent-elles le piratage plus attractif que leurs propres services ? »
Tant que cette question restera sans réponse substantielle, les abonnés continueront à utiliser l'une ou l'autre solution. Et ironiquement, ce seront les créateurs eux-mêmes—ceux que les restrictions supposaient protéger—qui en pâtiront le plus.